L’écoute

Pierremarie, Profondeur

L’écoute


L’ouïe est un sens ;
l’écoute, un art subtil.

*

Savoir écouter est, en effet, un art d’une grande beauté qui demande de la pratique, mais aussi et surtout, de la bonne volonté.

Notre écoute est souvent sélective, superficielle, biaisée et parasitée par nos pensées, préjugés, croyances et connaissances. La plupart du temps, nous n’écoutons que d’une oreille distraite, sans arrêter nos activités ni cesser de penser à autre chose, entre autres à préparer notre répartie. Surtout quand les propos de notre interlocuteur nous touchent et que, tous sens en alerte, nous nous mettons sur la défensive. Nos conversations risquent alors de ressembler à de véritables dialogues de sourds où les échanges se font sous le mode action/réaction.

La personne qui écoute au travers d’un filtre
personnel crée ses propres conclusions qui,
souvent, n’ont pas grand-chose à voir
avec ce qui a été dit.

Pour écouter vraiment, il faut aménager de l’espace dans notre tête, mettre en veilleuse nos émotions et, pour un instant, accorder toute notre attention à l’autre, en tenant compte de qui il est, d’où il vient, et en nous efforçant d’entendre ce qu’il dit en nous plaçant de son point de vue.

Il existe une grande variété de types d’écoute : l’écoute que nous consacrons à des sommités, celle que nous réservons à nos proches (famille et amis), celles qui concernent notre milieu de travail, que ce soit entre collègues ou avec nos supérieurs ; celles que nous apportons à nos voisins, aux commerçants du coin ou à des étrangers et celle, professionnelle, que nous accordent un professionnel de la santé : médecin, intervenant social, psychiatre ou psychologue. Ces formes d’écoute diffèrent grandement, mais sont soumises aux mêmes règles : elles nécessitent un minimum d’attention, de l’ouverture, de la bonne volonté et une absence de jugement.

Écouter, c’est permettre à l’autre personne
d’exprimer tout ce qu’elle a à dire,
sans l’intimider, la mésestimer,
déformer ses paroles ou la juger.

Pour écouter, il faut d’abord nous rendre disponibles à l’autre et faire taire nos petites voix intérieures qui ne cherchent qu’à commenter, critiquer, juger et conseiller. Écouter l’autre personne, c’est l’entendre et la sentir de l’intérieur, au-delà de son apparence et des mots qu’elle emploie pour se dire. C’est la recevoir dans sa totalité, sans interpréter ce qu’elle dit, sans la juger et sans chercher à l’influencer de quelque manière que ce soit. Pour bien écouter, il faut savoir que chacun de nous est unique et que la vérité de notre interlocuteur.trice n’est pas la nôtre, ce qui nous permet de dépasser notre propre vision du monde pour nous ouvrir à la sienne. Ce n’est qu’à cette condition, dans un climat de confiance et de non-jugement, que la personne écoutée peut explorer en toute sécurité les dédales de son « moi » (qui est fort différent du nôtre), qu’elle peut mettre de l’ordre dans ses idées et, finalement, qu’elle peut trouver en elle les réponses à son questionnement ou la solution à ses malaises.

L’écoute permet à la personne qui se raconte
d’explorer cette partie sombre d’elle-même
qu’elle peut difficilement affronter seule.

Une bonne écoute ne peut être pratiquée que lorsque nous nous connaissons bien, que lorsque nous sommes en paix avec nous-même et que lorsque nous avons appris à accepter les gens tels qu’ils sont et la vie telle qu’elle se manifeste. Pour être en mesure de voir et de dépasser l’émotion en face de la souffrance ou de la colère de l’autre, afin qu’elle n’entache pas la communication, nous devons avoir appris à ne pas nous laisser submerger par notre propre souffrance et notre propre colère.

« Pour écouter, il me faut d’abord me taire,
faire taire ma réactivité qui est le principal
obstacle à l’écoute. Si ce que dit l’autre me touche,
en moi vont se bousculer des besoins
de m’exprimer, d’expliquer, de convaincre,
de porter un jugement, de dire mes sentiments,
mes idées. Plus l’autre est proche, plus seront vives
les émotions suscitées en moi par sa parole. »

Jacques Salomé     

Le pire obstacle à notre écoute, c’est souvent en effet notre émotion qui prend toute la place et qui nous incite à vouloir soit soulager rapidement la souffrance ou atténuer la colère de l’autre, par des conseils, du réconfort, soit à réagir à ses propos par de la colère, des remontrances ou des pleurs, soit encore à l’empêcher de poursuivre en détournant l’attention, en changeant de sujet, en quittant la pièce ou en le faisant taire, parce qu’il nous dérange trop. Toutes ces façons ne sont pas mauvaises en elles-mêmes, ce sont en fait des moyens de nous protéger contre ce qui nous semble trop difficile à entendre, mais il serait bien de pouvoir prendre conscience de notre façon de réagir afin de comprendre ce qui se cache sous cette attitude défensive.

Avons-nous une bonne écoute ?

Qu’est-ce qui nous empêche de bien écouter ?

La plupart d’entre nous ne savons pas toujours écouter. Lorsque nous tentons de le faire, nous avons souvent l’habitude de le faire avec notre tête — en commentant, évaluant, critiquant — ou avec nos émotions — en ressentant de la joie, de la peine, de la pitié ou de la colère, ce qui, inévitablement, fausse la communication et nous amène à réagir non pas à ce qui a été énoncé, mais à l’interprétation que nous en avons faite — en fonction de l’émotion que nous avons ressentie.

Combien de fois, lors de thérapie de couple, n’ai-je pas assisté à de véritables dialogues de sourds entre deux partenaires ! — l’un.e étant très émotif.ve et l’autre, typiquement rationnel.le.

Voici un exemple :

Lucie : La journée a été très difficile. La menace de coupure de personnel me stresse beaucoup. J’ai fait des erreurs impardonnables. J’ai vraiment peur de perdre mon poste !

Roland : Ne te tracasse pas avec ça !  Tu le sais, t’as toujours tendance à trop t’en faire. Oublie ça !

Roland a eu beau accompagner sa réplique d’une petite tape sur l’épaule de sa conpagne, il a manqué une chance inouïe de lui montrer à quel point il était sensible à sa situation.

Un simple reflet de l’inquiétude qu’elle venait d’exprimer du genre : « T’es inquiète » aurait pu soulager Lucie en lui permettant d’en dire plus long sur ses bévues, qu’elle dramatise peut-être, et sur sa crainte de congédiement. Le fait de se sentir écoutée aurait sûrement renforcé son sentiment d’être comprise par Roland.

La plupart des relations reposent principalement sur deux modes, le rationnel et l’émotionnel, et négligent l’être en lui-même. il n’est pas étonnant, alors — puisque le mode rationnel concerne le passé ou le futur, et que les émotions sont des manifestations dans le corps des pensées et interprétations de notre mode rationnel —, que nous connaissions autant de conflits interrelationnels.

Savoir faire face à nos propres démons
nous permet d’offrir une véritable écoute,
centrée sur l’autre et non pas sur nous-même.

*

Voici un autre exemple d’une écoute dominée par l’émotion :

Mathilde ne parvient pas à écouter son fils lui parler de ses états d’âme depuis que sa femme l’a quitté, emmenant avec elle ses deux enfants. Trop de colère contre sa belle-fille et trop de peine pour son Nicolas et pour elle-même de ne plus pouvoir voir ses petits-enfants lui brouillent le cœur. Plutôt que d’entendre la peine et le désarroi de son fils, elle essaie de le distraire et de le réconforter avec des activités et de la bonne nourriture.

Dans cet exemple, on voit une mère incapable d’écouter son fils parce qu’elle est, elle-même, trop impliquée dans le problème. Dans ce cas particulier, il est assez facile (surtout lorsque nous sommes parent nous-même) de comprendre la difficulté qu’éprouve cette mère, très affectée par la souffrance de son fils. Peut-être se sent-elle coupable de quelque chose, d’en avoir trop fait, ou pas assez, et elle se sent sûrement peinée de ne pouvoir aider son fils, voire peut-être même un peu frustrée.

C’est dans de telles situations, qui nous affectent mais sur lesquelles nous ne détenons aucun pouvoir, ou lors de catastrophes naturelles, qu’il est bon de nous rappeler que toute expérience, agréable ou non, est une leçon de vie qui peut contribuer à nous rendre plus compatissants et plus solidaires envers nos semblables et plus acceptants de la vie telle qu’elle se présente à nous — pour la bonne raison que nous n’y pouvons rien. Les problèmes que nous devons affronter et dont nous sommes témoins — de même que notre impuissance, parfois, à y changer quelque chose, ou même à y faire face — nous incite à nous interroger sur le sens de la vie. Pourquoi tant d’épreuves ?  Quelle est la finalité de cette vie sur terre ?  Quel rôle dois-je y jouer ?  Notre questionnement nous fait alors passer du point de vue existentiel au point de vue spirituel. Dépassés par les mystères de la vie, nous n’avons d’autre choix que celui de nous incliner devant elle et de faire avec elle pour poursuivre son dessein.

Les épreuves nous attendrissent,
nous humanisent. Elles traversent les barrières
de notre égo et nous rendent perméables
aux autres ; alors seulement pouvons-nous
les entendre.

*

Quand j’étudiais en psychologie on nous apprenait à écouter l’autre en nous mettant à sa disposition dans ce que l’on appelait une “neutralité bienveillante” et une “attention flottante”, c’est-à-dire en ayant une attitude d’ouverture tout en sachant prendre une distance par rapport à ce qui était dit et ressenti. J’ai réalisé dernièrement que ce qu’on nous enseignait correspondait à l’état dans lequel nous nous mettons lorsque nous méditons.

Dans la méditation, nous portons attention au champ énergétique de notre corps — ce qui crée en nous un espace de vide mental et affectif — et nous sommes alors capable d’écouter véritablement, sans que nos pensées ou nos émotions interfèrent. En effet, quand nous sommes dans cet état de calme et de neutralité bienveillante, c’est comme si nous écoutions l’autre personne avec tout notre corps. Nous l’entendons et la ressentons dans son être, au-delà des mots employés et des émotions vécues, et nous pouvons alors communiquer avec elle à un niveau beaucoup plus subtil.

Pour bien entendre une personne,
il faut adopter le mode réceptif et
nous mettre sur les mêmes fréquences,
non pas de son ego, mais de son être.

À mesure que notre capacité d’écoute s’élargit, le silence en nous se fait plus grand, plus riche, plus plein, et les barrières entre nous et l’autre tombent les unes après les autres.

Quand nous écoutons vraiment — pas seulement les mots, mais l’ensemble de notre interlocuteur —, nous touchons en direct, dans l’instant même et au plus profond de nous-même, la réalité de l’autre personne — qui n’a rien à voir avec sa position sociale ou les rôles qu’elle tient.

Pour être en mesure de fournir ce genre d’écoute, il nous faut absolument aménager un espace dans notre esprit, sinon, le message se heurte à une pensée, à un concept, à un préjugé ou à une préoccupation — et n’est pas entendu.

Un esprit plein, qui ne sait ni entendre
le chant d’un oiseau ni le bruissement
des feuilles au vent, ni le clapotis de l’eau
est un esprit mort qui ne sait pas entendre
la réalité de l’autre.

Quand nous laissons notre mental et nos émotions mener notre vie, nous ouvrons la porte aux conflits, aux antagonismes et aux problèmes. Quand, au contraire, nous entrons en contact avec notre corps énergétique, avec notre être, il se crée en nous un vide mental et émotionnel, nous rendant plus sensible et plus réceptif à tout ce qui nous entoure et plus aptes à entendre vraiment l’autre.

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