L’écoute

Pierremarie, Profondeur

L’écoute


L’ouïe est un sens ;
l’écoute, un art subtil.

*

Savoir écouter est, en effet, un art d’une grande beauté qui demande de la pratique, mais aussi et surtout, de la bonne volonté.

Notre écoute est souvent sélective, superficielle, biaisée et parasitée par nos pensées, préjugés, croyances et connaissances. La plupart du temps, nous n’écoutons que d’une oreille distraite, sans arrêter nos activités ni cesser de penser à autre chose, entre autres à préparer notre répartie. Surtout quand les propos de notre interlocuteur nous touchent et que, tous sens en alerte, nous nous mettons sur la défensive. Nos conversations risquent alors de ressembler à de véritables dialogues de sourds où les échanges se font sous le mode action/réaction.

La personne qui écoute au travers d’un filtre
personnel crée ses propres conclusions qui,
souvent, n’ont pas grand-chose à voir
avec ce qui a été dit.

Pour écouter vraiment, il faut aménager de l’espace dans notre tête, mettre en veilleuse nos émotions et, pour un instant, accorder toute notre attention à l’autre, en tenant compte de qui il est, d’où il vient, et en nous efforçant d’entendre ce qu’il dit en nous plaçant de son point de vue.

Il existe une grande variété de types d’écoute : l’écoute que nous consacrons à des sommités, celle que nous réservons à nos proches (famille et amis), celles qui concernent notre milieu de travail, que ce soit entre collègues ou avec nos supérieurs ; celles que nous apportons à nos voisins, aux commerçants du coin ou à des étrangers et celle, professionnelle, que nous accordent un professionnel de la santé : médecin, intervenant social, psychiatre ou psychologue. Ces formes d’écoute diffèrent grandement, mais sont soumises aux mêmes règles : elles nécessitent un minimum d’attention, de l’ouverture, de la bonne volonté et une absence de jugement.

Écouter, c’est permettre à l’autre personne
d’exprimer tout ce qu’elle a à dire,
sans l’intimider, la mésestimer,
déformer ses paroles ou la juger.

Pour écouter, il faut d’abord nous rendre disponibles à l’autre et faire taire nos petites voix intérieures qui ne cherchent qu’à commenter, critiquer, juger et conseiller. Écouter l’autre personne, c’est l’entendre et la sentir de l’intérieur, au-delà de son apparence et des mots qu’elle emploie pour se dire. C’est la recevoir dans sa totalité, sans interpréter ce qu’elle dit, sans la juger et sans chercher à l’influencer de quelque manière que ce soit. Pour bien écouter, il faut savoir que chacun de nous est unique et que la vérité de notre interlocuteur.trice n’est pas la nôtre, ce qui nous permet de dépasser notre propre vision du monde pour nous ouvrir à la sienne. Ce n’est qu’à cette condition, dans un climat de confiance et de non-jugement, que la personne écoutée peut explorer en toute sécurité les dédales de son « moi » (qui est fort différent du nôtre), qu’elle peut mettre de l’ordre dans ses idées et, finalement, qu’elle peut trouver en elle les réponses à son questionnement ou la solution à ses malaises.

L’écoute permet à la personne qui se raconte
d’explorer cette partie sombre d’elle-même
qu’elle peut difficilement affronter seule.

Une bonne écoute ne peut être pratiquée que lorsque nous nous connaissons bien, que lorsque nous sommes en paix avec nous-même et que lorsque nous avons appris à accepter les gens tels qu’ils sont et la vie telle qu’elle se manifeste. Pour être en mesure de voir et de dépasser l’émotion en face de la souffrance ou de la colère de l’autre, afin qu’elle n’entache pas la communication, nous devons avoir appris à ne pas nous laisser submerger par notre propre souffrance et notre propre colère.

« Pour écouter, il me faut d’abord me taire,
faire taire ma réactivité qui est le principal
obstacle à l’écoute. Si ce que dit l’autre me touche,
en moi vont se bousculer des besoins
de m’exprimer, d’expliquer, de convaincre,
de porter un jugement, de dire mes sentiments,
mes idées. Plus l’autre est proche, plus seront vives
les émotions suscitées en moi par sa parole. »

Jacques Salomé     

Le pire obstacle à notre écoute, c’est souvent en effet notre émotion qui prend toute la place et qui nous incite à vouloir soit soulager rapidement la souffrance ou atténuer la colère de l’autre, par des conseils, du réconfort, soit à réagir à ses propos par de la colère, des remontrances ou des pleurs, soit encore à l’empêcher de poursuivre en détournant l’attention, en changeant de sujet, en quittant la pièce ou en le faisant taire, parce qu’il nous dérange trop. Toutes ces façons ne sont pas mauvaises en elles-mêmes, ce sont en fait des moyens de nous protéger contre ce qui nous semble trop difficile à entendre, mais il serait bien de pouvoir prendre conscience de notre façon de réagir afin de comprendre ce qui se cache sous cette attitude défensive.

Avons-nous une bonne écoute ?

Qu’est-ce qui nous empêche de bien écouter ?

La plupart d’entre nous ne savons pas toujours écouter. Lorsque nous tentons de le faire, nous avons souvent l’habitude de le faire avec notre tête — en commentant, évaluant, critiquant — ou avec nos émotions — en ressentant de la joie, de la peine, de la pitié ou de la colère, ce qui, inévitablement, fausse la communication et nous amène à réagir non pas à ce qui a été énoncé, mais à l’interprétation que nous en avons faite — en fonction de l’émotion que nous avons ressentie.

Combien de fois, lors de thérapie de couple, n’ai-je pas assisté à de véritables dialogues de sourds entre deux partenaires ! — l’un.e étant très émotif.ve et l’autre, typiquement rationnel.le.

Voici un exemple :

Lucie : La journée a été très difficile. La menace de coupure de personnel me stresse beaucoup. J’ai fait des erreurs impardonnables. J’ai vraiment peur de perdre mon poste !

Roland : Ne te tracasse pas avec ça !  Tu le sais, t’as toujours tendance à trop t’en faire. Oublie ça !

Roland a eu beau accompagner sa réplique d’une petite tape sur l’épaule de sa conpagne, il a manqué une chance inouïe de lui montrer à quel point il était sensible à sa situation.

Un simple reflet de l’inquiétude qu’elle venait d’exprimer du genre : « T’es inquiète » aurait pu soulager Lucie en lui permettant d’en dire plus long sur ses bévues, qu’elle dramatise peut-être, et sur sa crainte de congédiement. Le fait de se sentir écoutée aurait sûrement renforcé son sentiment d’être comprise par Roland.

La plupart des relations reposent principalement sur deux modes, le rationnel et l’émotionnel, et négligent l’être en lui-même. il n’est pas étonnant, alors — puisque le mode rationnel concerne le passé ou le futur, et que les émotions sont des manifestations dans le corps des pensées et interprétations de notre mode rationnel —, que nous connaissions autant de conflits interrelationnels.

Savoir faire face à nos propres démons
nous permet d’offrir une véritable écoute,
centrée sur l’autre et non pas sur nous-même.

*

Voici un autre exemple d’une écoute dominée par l’émotion :

Mathilde ne parvient pas à écouter son fils lui parler de ses états d’âme depuis que sa femme l’a quitté, emmenant avec elle ses deux enfants. Trop de colère contre sa belle-fille et trop de peine pour son Nicolas et pour elle-même de ne plus pouvoir voir ses petits-enfants lui brouillent le cœur. Plutôt que d’entendre la peine et le désarroi de son fils, elle essaie de le distraire et de le réconforter avec des activités et de la bonne nourriture.

Dans cet exemple, on voit une mère incapable d’écouter son fils parce qu’elle est, elle-même, trop impliquée dans le problème. Dans ce cas particulier, il est assez facile (surtout lorsque nous sommes parent nous-même) de comprendre la difficulté qu’éprouve cette mère, très affectée par la souffrance de son fils. Peut-être se sent-elle coupable de quelque chose, d’en avoir trop fait, ou pas assez, et elle se sent sûrement peinée de ne pouvoir aider son fils, voire peut-être même un peu frustrée.

C’est dans de telles situations, qui nous affectent mais sur lesquelles nous ne détenons aucun pouvoir, ou lors de catastrophes naturelles, qu’il est bon de nous rappeler que toute expérience, agréable ou non, est une leçon de vie qui peut contribuer à nous rendre plus compatissants et plus solidaires envers nos semblables et plus acceptants de la vie telle qu’elle se présente à nous — pour la bonne raison que nous n’y pouvons rien. Les problèmes que nous devons affronter et dont nous sommes témoins — de même que notre impuissance, parfois, à y changer quelque chose, ou même à y faire face — nous incite à nous interroger sur le sens de la vie. Pourquoi tant d’épreuves ?  Quelle est la finalité de cette vie sur terre ?  Quel rôle dois-je y jouer ?  Notre questionnement nous fait alors passer du point de vue existentiel au point de vue spirituel. Dépassés par les mystères de la vie, nous n’avons d’autre choix que celui de nous incliner devant elle et de faire avec elle pour poursuivre son dessein.

Les épreuves nous attendrissent,
nous humanisent. Elles traversent les barrières
de notre égo et nous rendent perméables
aux autres ; alors seulement pouvons-nous
les entendre.

*

Quand j’étudiais en psychologie on nous apprenait à écouter l’autre en nous mettant à sa disposition dans ce que l’on appelait une “neutralité bienveillante” et une “attention flottante”, c’est-à-dire en ayant une attitude d’ouverture tout en sachant prendre une distance par rapport à ce qui était dit et ressenti. J’ai réalisé dernièrement que ce qu’on nous enseignait correspondait à l’état dans lequel nous nous mettons lorsque nous méditons.

Dans la méditation, nous portons attention au champ énergétique de notre corps — ce qui crée en nous un espace de vide mental et affectif — et nous sommes alors capable d’écouter véritablement, sans que nos pensées ou nos émotions interfèrent. En effet, quand nous sommes dans cet état de calme et de neutralité bienveillante, c’est comme si nous écoutions l’autre personne avec tout notre corps. Nous l’entendons et la ressentons dans son être, au-delà des mots employés et des émotions vécues, et nous pouvons alors communiquer avec elle à un niveau beaucoup plus subtil.

Pour bien entendre une personne,
il faut adopter le mode réceptif et
nous mettre sur les mêmes fréquences,
non pas de son ego, mais de son être.

À mesure que notre capacité d’écoute s’élargit, le silence en nous se fait plus grand, plus riche, plus plein, et les barrières entre nous et l’autre tombent les unes après les autres.

Quand nous écoutons vraiment — pas seulement les mots, mais l’ensemble de notre interlocuteur —, nous touchons en direct, dans l’instant même et au plus profond de nous-même, la réalité de l’autre personne — qui n’a rien à voir avec sa position sociale ou les rôles qu’elle tient.

Pour être en mesure de fournir ce genre d’écoute, il nous faut absolument aménager un espace dans notre esprit, sinon, le message se heurte à une pensée, à un concept, à un préjugé ou à une préoccupation — et n’est pas entendu.

Un esprit plein, qui ne sait ni entendre
le chant d’un oiseau ni le bruissement
des feuilles au vent, ni le clapotis de l’eau
est un esprit mort qui ne sait pas entendre
la réalité de l’autre.

Quand nous laissons notre mental et nos émotions mener notre vie, nous ouvrons la porte aux conflits, aux antagonismes et aux problèmes. Quand, au contraire, nous entrons en contact avec notre corps énergétique, avec notre être, il se crée en nous un vide mental et émotionnel, nous rendant plus sensible et plus réceptif à tout ce qui nous entoure et plus aptes à entendre vraiment l’autre.

Le discours intérieur

Le discours intérieur
Mélanie Genest, Sans titre

Le discours intérieur

Qui de nous n’entend pas une ou des voix dans sa tête ?

Il est normal de se parler mentalement, nous le faisons tous, mais quand notre discours intérieur prend trop de place, quand il devient geignard, dénigrant, paranoïaque, haineux ou au contraire prétentieux, mégalomane et qu’il se fait obsédant, il peut entraîner de fâcheuses conséquences personnelles, relationnelles et même sociales.

Le discours intérieur, tel que je l’entends ici, c’est tout ce qui se dit entre nos deux oreilles. Il se distingue de la pensée rationnelle, en ce sens qu’il s’adresse à quelqu’un (soi-même, une autre personne, un groupe de personnes, voire un auditoire, une divinité), qu’il repose sur un système de valeurs, donc qu’il comporte une connotation morale et/ou affective, et qu’il se manifeste plus ou moins à notre insu, comme un fond sonore, et de façon souvent répétitive.

Il existe une infinité d’activités cérébrales, mais dans cet article, dont le sujet porte sur le discours intérieur, nous nous limiterons dans un premier temps à mettre ce dernier en parallèle avec la pensée rationnelle.

On pourrait dire, en simplifiant beaucoup, que la pensée rationnelle est intentionnelle, donc que sa finalité est préalablement définie, et qu’elle se veut objective. En voici quelques exemples :

  • lorsque nous pesons mentalement les pour et les contres avant de prendre une décision ;
  • lorsque nous lisons à voix basse, dans notre tête ;
  • quand nous mémorisons, quand nous réfléchissons, analysons ;
  • quand nous voulons résoudre un problème ;
  • quand nous composons un texte, une chanson, une pièce musicale, une bande dessinée, etc.
  • quand nous planifions un repas, un achat, une sortie, une rencontre ;
  • quand nous cherchons à nous rappeler quelque chose ;
  • lorsque nous nous préparons mentalement à répondre à un interlocuteur ;
  • quand nous évaluons quelque chose ou quelqu’un ;
  • quand nous nous dictons une ligne de conduite ;
  • quand nous sommes attentifs à ces événements-ci, ces expériences-ci, ces jugements-ci, ces pensées-ci, toutes choses qui existent et qu’il est « rationnel » de consciemment considérer, éventuellement formuler, communiquer, etc.

En ce qui concerne le discours intérieur, on pourrait dire qu’il est, pour sa part, subjectif, donc partial et émotif, et que chez certaines personnes il se fait entendre à longueur de jour. En voici quelques exemples, en soulignant que la prise de conscience de ces mécanismes est une bonne nouvelle, puisque la conscience a dès lors suppléé au mécanisme :

  • quand nous sommes en désaccord avec quelqu’un et que nous lui répliquons mentalement ;
  • quand nous mijotons une vengeance ;
  • quand nous poursuivons en solitaire une discussion commencée plus tôt avec un(e) ami(e) ou un(e) collègue ;
  • quand nous nous blâmons, nous culpabilisons ou, au contraire, nous congratulons ;
  • quand nous dialoguons intérieurement avec quelqu’un pour le plaindre, le blâmer, nous justifier, lui dicter une conduite, lui enseigner des choses, l’exhorter, l’encourager ;
  • quand nous nous comparons aux autres ;
  • chaque fois que nous ressassons le passé ou nous nous inquiétons pour le futur ;
  • lorsque nous commentons mentalement chacun de nos faits et gestes ou ceux des autres ou ce qui se passe autour de nous ;
  • quand nous ruminons nos problèmes et quand nous nous reprochons de ne pas savoir comment y faire face ;
  • quand nous jugeons indistinctement certaines personnes ou certains groupes de personnes parce qu’ils correspondent à des critères pourtant neutres en eux-mêmes et/ou quand nous entretenons des propos intérieurs arrogants, méprisants, haineux et/ou racistes à leur égard ;
  • quand nous invoquons machinalement nos morts ou une divinité quelconque, etc.

Contrairement à la pensée rationnelle, de nature plutôt neutre, le discours intérieur, qui résulte de nos conditionnements (éducation, expériences, croyances, préjugés, etc.), contient d’importantes charges émotives pouvant aller de l’extrêmement négatif à l’extrêmement positif en passant par toute la gamme de nuances entre les deux.

Il est donc facile de supposer (sans être médecin, psychologue ou devin) que ce verbiage incessant auquel l’esprit inattentif se livre d’instant en instant puisse colorer notre humeur et avoir ainsi de sérieux impacts sur notre motivation, nos agissements, notre performance, notre estime personnelle, nos relations… Et, en tels cas, surtout s’il est négatif, qu’il puisse causer de la souffrance psychologique*, se traduisant par du stress, de la fatigue mentale, une perte d’énergie, de l’anxiété, voire de la dépression et/ou des désordres physiologiques.

*Notons ici que la souffrance psychologique ne résulte pas de la présence de vrais soucis, mais de l’attitude que nous adoptons envers de « soi-disant » soucis et du discours intérieur que nous entretenons à leur sujet.

Voyons un peu comment fonctionne ce discours intérieur.

Que se passe-t-il entre nos deux oreilles ?

Depuis notre naissance, notre cerveau a accumulé une multitude d’informations : perceptions sensorielles reliées à des expériences vécues ou dont nous avons été témoins ; connaissances, idées et préjugés sur la vie, sur les autres et sur nous-même résultant de ces expériences ; concepts, connaissances générales, valeurs, croyances provenant de sources diverses et façonnant différents aspects de notre personne, notamment notre identité et le sentiment de notre valeur personnelle. Certaines de ces données, celles dont nous sommes conscients (qu’elles soient intégrées ou non), ont été stockées dans des régions relativement accessibles de notre cerveau ; d’autres ont été jetées pêle-mêle dans un immense fourre-tout d’où remontent parfois quelques réminiscences nous incitant à leur accorder quelque attention.

De plus, jour après jour, surviennent de nouvelles informations qu’il nous incombe de gérer. La tâche s’avère plus ou moins facile dépendamment de la nature de ces nouvelles données ; de la conscience que nous en avons ; de l’intérêt que nous leur accordons, de la motivation qu’elles suscitent ; du bouleversement qu’elles provoquent ; du temps dont nous disposons à leur consacrer ; de l’état physique, mental et affectif dans lequel nous sommes lorsqu’elles se présentent et, bien sûr, de l’ordre déjà établi dans notre tête.

Le discours intérieur, c’est la partie plus ou moins visible, plus ou moins accessible du mécanisme mis en place pour gérer et intégrer tout ce fouillis d’informations. C’est, en quelque sorte, le verbatim de l’ensemble des échanges internes que le gestionnaire de notre existence entretient avec l’extérieur et les conditionnements emmagasinés dans notre cerveau depuis notre enfance, pour tenter de concilier tout ce fatras avec notre moi intime. C’est ce qui, avec l’aide de la pensée rationnelle, oriente nos actions et façonne notre devenir. Son rôle, outre celui d’écrire le scénario et d’assurer la mise en scène de la pièce de théâtre dans laquelle joue le personnage que nous avons créé, consiste à sauvegarder l’image de ce dernier et à asseoir sa crédibilité.

Mais, plus nous portons attention à ce qui se dit entre nos oreilles, plus nous réalisons que nous ne sommes pas maître chez nous.

Le personnage qui nous tient lieu d’identité et qui vit notre vie est confronté à de sérieuses contraintes : conditions physiques et matérielles précaires ; statuts personnel, professionnel et social fluctuants ; ignorance de sa date de péremption et, même, de la raison ultime de son existence sur Terre. D’où son insécurité et, par conséquent, son extrême susceptibilité et sa grande réactivité face à la critique et devant toute remise en question. C’est en grande partie par l’entremise du discours intérieur qu’il tente, d’instant en instant, de rétablir son équilibre. Les efforts qu’il consacre à cet exercice occupent une large part de notre temps et épuisent notre énergie.

Malgré l’emprise qu’exerce sur nous ce verbiage incessant et malgré les effets souvent pernicieux auxquels il nous soumet — car aucune de nos réactions, aucun de nos états d’âme n’est isolé et indépendant de ce processus —, nous lui prêtons très peu d’attention. En fait, nous sommes tellement habitués à cette présence familière que nous la subissons comme une fatalité et que l’idée de la remettre en question ne nous effleure même pas l’esprit.

Pourtant, selon ce que découvrent de plus en plus certains chercheurs et professionnels de la santé mentale et ce qu’enseignent plusieurs maîtres spirituels depuis des temps immémoriaux, il est possible et même grandement souhaitable d’apprivoiser notre discours intérieur.

Comment apprivoiser le discours intérieur

Si on exclut l’approche pharmacologique et l’utilisation de psychotropes (deux domaines qui me sont étrangers), il existe deux grandes approches pour apprivoiser notre discours intérieur : l’approche psychologique et l’approche spirituelle. Bien que très différentes l’une de l’autre, ces deux approches me semblent complémentaires. Pour ma part, je les utilise toutes les deux, selon les situations dans lesquelles je me trouve.

L’approche psychologique concerne le moi public, la partie superficielle de notre être qui prend le devant de la scène, qui s’exprime, se manifeste, agit et qui souvent occulte notre nature profonde. C’est par le recours de la pensée rationnelle et de diverses techniques propres aux différentes écoles de pensée qu’elle tente de maîtriser le discours intérieur, en agissant principalement sur son contenu.

L’approche spirituelle s’adresse à l’être, c’est-à-dire à ce qui existe en nous sous l’ensemble des phénomènes constituant notre personnalité (notamment les pensées, croyances, sensations, sentiments, actions). Elle met l’accent sur la conscience d’être, ici et maintenant, et incite à nous investir complètement dans ce que nous faisons (si nous sommes en action) ou à porter attention à notre ressenti intérieur (si nous méditons), tout en observant à distance, sans y prendre part, notre discours intérieur.

On pourrait dire, en gros, que par l’approche psychologique on analyse le discours intérieur ; on en étudie le contenu ; on essaie d’en comprendre les causes (présentes et sous-jacentes), de détecter le moment où il se produit, en quelles circonstances ; on tente de le raisonner, de le maîtriser ou de l’apprivoiser, de l’adapter, le modifier. Dans l’approche spirituelle, on observe ce verbiage à distance, sans le prendre au sérieux, comme s’il s’agissait du babillage d’un enfant qui joue à être quelqu’un. On met plutôt l’accent sur ce qui existe en nous sous les apparences, sur ce flot énergétique qui anime chacun de nous et nous relie les uns aux autres. On s’y connecte en dirigeant notre attention vers nos perceptions corporelles (respiration, battements cardiaques, flux énergétique) plutôt que sur nos pensées. Ce qui nous permet de relativiser et de dédramatiser le discours intérieur, d’apaiser le corps et de vivre l’instant présent dans toute sa fraîcheur.

Dans l’une comme dans l’autre de ces approches, la première étape pour apprivoiser le discours intérieur consiste à prendre conscience de sa présence, c’est-à-dire à le surprendre en pleine action et à constater l’impact immédiat qu’il exerce sur nous.

Réflexions sur le discours intérieur et sur les manières connues de l’apprivoiser

Le discours intérieur n’est pas un ennemi à combattre, mais bien une composante de la personnalité humaine, soit un instrument de gestion et d’action, qu’il est utile de connaître et d’apprendre à utiliser.

Dans certaines techniques pour maîtriser le discours intérieur, on propose de changer le discours négatif (ou défavorable) par un discours positif (ou favorable). Selon moi, ce procédé ne fonctionne pas. Comment, en effet, essayer de se convaincre qu’on est beau, talentueux ou populaire, alors qu’en réalité on se sait très ordinaire dans chacune de ces sphères ? Ne serait-ce pas justement le fait de ne pas nous accepter tel que nous sommes, d’être confronté au désir ardent d’être autrement (afin de correspondre aux prétendus diktats sociaux), et la frustration ou la culpabilité de ne pas y parvenir, qui provoqueraient une grande partie de nos ruminations internes et les fâcheuses conséquences qui leur sont inhérentes ?

Ne nous leurrons pas sur nous-même : nous sommes tel que nous sommes et pas autrement. Au contraire, soyons conscients et vigilants. La perception juste de ce que nous sommes nous évite bien des errements et désagréments. Elle lève le voile sur notre réalité et nous permet d’y adhérer, en toute sérénité.

Aspects psychologiques et spirituels de la communication

N.B. Les propos tenus dans le présent article ne reposent sur aucune théorie en particulier, sauf la mienne. Ils reflètent les conclusions que j’ai tirées de mes vingt-cinq ans de pratique professionnelle en tant que psychologue et d’une longue pratique personnelle de la spiritualité telle que je la décris ici.

Chaque jour, chacun et chacune de nous entretient une relation avec lui- ou elle-même, communique avec des semblables et tisse des liens avec son entourage. La plupart du temps, cependant, nous n’en sommes pas pleinement conscients.

L’objectif principal de cette chronique, mettant aujourd’hui l’accent sur les aspects psychologiques et spirituels de la communication, vise à nous sensibiliser sur l’importance de demeurer attentifs à tout ce qui se passe en nous et autour de nous, si nous voulons réellement communiquer avec notre entourage et cultiver ainsi de belles relations qui enrichiront notre vie.

Par aspect psychologique, j’entends tout ce qui sous-tend, concerne et forge notre personnalité, c’est-à-dire les circonstances de notre naissance, le personnage qui nous tient lieu d’identité, ses attributs, les rôles qu’il joue et les comportements qu’il émet par l’entremise de l’ego* pour développer notre individualité et nous permettre de devenir « quelqu’un » (nos ambitions, intentions, perceptions, dispositions personnelles, notre psychisme, nos attitudes, sentiments, émotions, connaissances, croyances, valeurs, comportements) et les liens qu’il tisse et entretient avec son entourage, entre autres via le langage.

* Ego : constructions et perceptions mentales qui portent l’humain à se mettre au centre de tout.

Quant à l’aspect spirituel, il ne réfère pas, ici, à l’expression d’une quelconque religion qui aurait pour but de nous élever hors du monde matériel et de nos sens — niant l’ici-bas pour un au-delà —, mais plutôt à l’êtreté, c’est-à-dire au simple fait d’être là, en pleine conscience, dans l’immédiateté concrète de notre corps et de la réalité de ce qui nous entoure, mais sans identification à l’ego, donc sans mots, sans buts, sans calculs, sans jugements de valeur, sans à priori, dans l’aperception la plus complète de ce qui est et dans une grande compassion à l’égard d’autrui.

L’aspect psychologique correspond à l’horizontalité de notre personnage, lequel se démène au sein d’un espace-temps bien défini afin d’atteindre ses buts. L’aspect spirituel, lui, correspond à la verticalité, assimilable à un moment de grâce ou de plénitude où le temps s’arrête et se creuse pour créer un nouveau mouvement, intérieur — vertical —, provenant des profondeurs de notre être conscient d’être là.

Dans le présent article, j’aborderai globalement la communication — soulignerai son importance — et évoquerai quelques-unes de ses composantes, ainsi que certaines des difficultés qui lui sont inhérentes.

Pourquoi s’intéresser à la communication ?

Parce que la communication constitue un phénomène absolument fondamental du point de vue social et spirituel. Elle est le prétexte ou, si on préfère, l’ingrédient de base, le moteur et parfois même la finalité de nos relations.

Pour parler de la communication du point de vue psychologique (ou social), j’emploierai le terme « communication intentionnelle » et, pour traiter de la communication du point de vue spirituel, j’utiliserai indifféremment l’une ou l’autre des expressions suivantes : « communication directe » ou « communion ».

Sans communication intentionnelle, il n’y a pas de société possible, car sans échanges avec autrui, il n’y a pas de regroupements : pas d’affiliations politiques, culturelles, professionnelles ou sportives ; pas de rencontres amicales, amoureuses ; pas de vie familiale, pas d’argumentations, de négociations, de mises au point et de remises en question ; pas de prises de conscience, de mea culpa, d’accords ni d’ententes, donc pas de progrès personnels.

Sans communication directe, sans communion, il n’y a aucune chance de connaître l’amour inconditionnel (qui ne se vit qu’en l’absence de l’ego), d’éprouver de la compassion et de ressentir une joie durable. Sans communion, donc, impossible de faire l’unité avec soi, avec l’autre, avec le monde dans lequel nous vivons ni, à fortiori, avec l’univers, le cosmos !

Communiquer intentionnellement, que ce soit pour informer, sensibiliser, se distraire, exprimer ses sentiments, chercher à convaincre, à s’affirmer, à mieux se comprendre ou même pour converser tout simplement, est un acte quotidien qui implique au moins deux personnes (un émetteur et un récepteur), un message, un lieu et un lien (ou canal de transmission).

Communiquer directement, communier, peut se faire seul(e) (de soi à Soi*) ou avec d’autres, possiblement (et d’autant mieux) dans le plus grand silence. Seules sont requises : l’attention bienveillante, la présence (à soi et aux autres) et la conscience.

* Soi : le Soi avec une majuscule, c’est notre nature essentielle, qu’on peut aussi appelée Être, Essence, Présence, Âme…. C’est ce qui existe et veille sous notre personnalité.

Notons ici que la communication directe détruit la cloison entre les niveaux du psychologique et du spirituel, en ce sens que la communion entre deux êtres se vit sans ego, dans l’acceptation inconditionnelle de l’autre. Nous aurons l’occasion d’en reparler dans d’autres articles.

Toute communication, qu’elle soit intentionnelle ou directe, présente deux aspects : un contenu et une relation.

Ce qu’il y a de propre à la communication intentionnelle, c’est que notre message, en plus de transmettre de l’information, est motivé par une intention et induit un comportement.

La communication directe, elle, se fait spontanément, souvent en l’absence de mots, et sans viser de buts.

L’information (en ce qui concerne la communication intentionnelle) et l’amour (en ce qui concerne la communion) sont le contenu (le message), tandis que la manière dont nous transmettons ou recevons le message et les conditions dans lesquelles nous les transmettons constituent la relation.

La communication intentionnelle idéale a lieu entre personnes psychologiquement saines et bien intentionnées qui échangent adéquatement, dans des conditions optimales, sur un sujet précis, dans le but de trouver une solution, d’arriver à une entente ou d’améliorer la compréhension du sujet en question ou des personnes en présence.

La communion des êtres se produit spontanément, sans à priori.

La communication est un processus complexe

Bien communiquer, que ce soit socialement ou spirituellement, n’est pas toujours simple, même entre personnes bien intentionnées.

Les obstacles peuvent survenir

  • de l’émetteur,
  • du message,
  • des circonstances dans lesquelles il est transmis,
  • du receveur,
  • et de la relation entre l’émetteur et le receveur.

Notons ici que les obstacles à la communication directe procèdent d’un manque d’êtreté (défaut d’être là en toute conscience), donc d’un manque d’attention, d’un manque de lâcher-prise, d’un manque de simplicité ou d’un manque d’amour.

Limites des interlocuteurs (émetteur et receveur(s))

Lors d’une communication intentionnelle, les interlocuteurs, même s’ils sont bien intentionnés, peuvent présenter plusieurs lacunes ou traits de caractère nuisibles à une bonne communication.

Ces problèmes sont susceptibles de se retrouver autant chez l’émetteur que chez le(s) receveur(s).

Nous parlons ici de problèmes intrapersonnels.

Ces derniers peuvent être d’ordre

  • physique : indispositions, difficultés d’élocution, problèmes auditifs, sous l’effet de l’alcool, de narcotiques ou de stupéfiants, etc. ;
  • intellectuel : manque de connaissances, de vocabulaire, de jugement, etc. ;
  • culturel : présence de croyances, préjugés, racisme, etc. ;
  • psychologique : manque de confiance en soi, de flexibilité, d’ouverture, troubles anxieux, paranoïdes, dépressifs, mégalomanie, névrose, etc.

En ce qui concerne la communion, les difficultés viennent toujours de l’incapacité de l’un ou de l’autre des interlocuteurs de vivre pleinement l’instant présent sans à priori.

Problèmes provenant du message

Le message peut susciter peu d’intérêt chez l’un ou l’autre des interlocuteurs, il peut manquer de clarté, de pertinence, de transparence, être biaisé, incomplet, partisan, trop long, mal défini, etc.

En ce qui concerne la communication directe, il peut y avoir absence de message, c’est-à-dire absence d’amour.

Problèmes provenant des circonstances dans lesquelles est transmis le message :

Le moment ou le lieu de l’échange peuvent être inadéquats, le temps alloué trop court, l’acoustique peut être mauvaise, il peut y avoir présence de bruits ou d’éléments perturbateurs, etc.

Problèmes relatifs à la relation entre l’émetteur et le(s) receveur(s)

Il s’agit ici de problèmes interpersonnels.

Les empêchements interpersonnels peuvent correspondre à des différences de point de vue, à des antipathies naturelles ou au contraire à une trop forte attirance ; ou encore à des circonstances défavorables : existence, entre les interlocuteurs eux-mêmes ou entre des membres de leur famille ou de leurs amis, de souvenirs ou de traumas dus à des expériences antérieures désagréables ou à des luttes de pouvoir. Les empêchements interpersonnels peuvent aussi résulter de la mauvaise foi de l’un ou l’autre des interlocuteurs, de leur manque de réceptivité, d’empathie, d’ouverture, d’amour, de conscience.

La conscience constitue, selon moi, le ferment essentiel de toute vraie communication.

Nous avons ici tracé les grandes lignes des communications intentionnelle et directe. Dans d’autres articles, nous étudierons plus à fond certains aspects de l’une ou de l’autre de ces formes de communications.