Il était une fois une cigale et une fourmi

Voilà une bonne prémisse : le fascisme n’est pas le mal . . . Le fascisme n’est pas non plus avant tout un système politique, mais une attitude face à la vie . . . Une attitude très normale : la vie est face à elle-même, son entropie.

L’entropie est cette tendance de toute chose à aller vers sa propre désorganisation, sa défuntisation, ça fane, ça vieillit, ça s’écale, la vaisselle s’accumule, y’a du café dans le clavier, y’a de la sauce à poutine dans l’aquarium, ça croûte au fond du chaudron . . . Bref, après la croissance de toute forme de vie, vient sa décroissance. Mais la vie veut que le dépérissement de l’une (une colocation par exemple) entraîne l’éclosion de l’autre (la moisissure dans la douche, la prolifération bactérienne) pour de nouvelles formes de vie.

Il est normal de vouloir contrer l’entropie. Le problème, c’est l’excès, bien sûr. Le Bouddha parle de la Voie du Milieu, mais c’est bien imprécis tout ça . . . Quel milieu ? Quelle périphérie ? Quelle est la gauche de la vie ? La métaphore de la Voie, droite et linéaire, renvoie elle-même à une vision un peu fasciste . . . Elle louvoie, la voie du milieu . . . La définir est impossible, mais pour les besoins du vivre-ensemble, on n’a pas le choix de tenter de danser avec . . .

La meilleure voie pour contrer l’entropie, c’est l’organisation. La défense contre le voisin qui déborde. Travail Famille Patrie ! La loi. La gestion. Le vouloir-raide . . . La droiture — parce que si ça penche, ça tombe !

Ouf ! On a déjà envie de se laisser tomber dans un grand fauteuil d’entropie . . . L’organisation mène l’humanité à ses plus belles réalisations, mais beaucoup d’individus sont sacrifiés à cette quête ultime. Les civilisations laissent à la postérité de grandes architectures, mais un bon moment, ou un geste délicat, ne laissent pas de traces . . .

Bah . . . Laisse tomber, les idéaux puis tout ça . . . Alors voilà le confortable fauteuil d’entropie . . .

L’entropie va dans le sens de la vie, la permettre, c’est se permettre d’exister avec tous ses déchets.

Le déchet est chaleureux. La perfection est froide.

Permettre aux choses de suivre le cours naturel de la vie, choisir ses combats, slaquer un peu ses hémorroïdes . . .

On peut se poser la question : qu’est-ce que nous coûte un petit effort pour s’organiser un peu ; on peut aussi se poser comme question ce que tout contrôler peut nous coûter en sacrifice de ces beautés inattendues, magiques, la surprise, le batifolement . . .

Trop d’organisation finit par tuer la vie, les colocs s’en vont l’injure à la bouche : « Sale fasciste ! » Et les fascistes en question restent en se disant : « Bon débarras, dehors les parasites ! »

Dehors les suceurs d’énergie ! Trop d’entropie finit par saper tout projet. À la fin, quand on a bien foiré, que tout tombe, les rats s’en vont aller gruger ailleurs.

Les fascistes restent tout seuls, c’est plate comme une soupe de rats morts, les artistes et les cœurs tendres sont partis là où il y a de la chaleur humaine, là où les rapports sympathiques priment avant l’édification des idéaux.

Colocation Montréal boujour ! Les cigales cherchent des fourmis qui ont construit un nid pour l’hiver. Les fourmis sont contentes de voir ces belles personnes venir mettre de la vie dans leur nid. Qu’est-ce que la voie du milieu ? On le sait pas plus que tantôt. Combien de temps tiendra cette nouvelle colocation ? On espère que cigales et fourmis trouveront le mode de vie qui soit une réponse à cette question : qu’est-ce que la voie du milieu ?

Jusque là, ça va bien, y’a du respect et de l’amour : y’a de la proximité consentie. Mais au niveau de la société, dans un tas de monde qui ont chacun leur part d’entropie et de fascisme (en plus de leur petite folie ordinaire, c’est un autre sujet !), c’est un autre problème . . .

Ça prendrait un projet de société. Mais qui organise la société ? Les beaux cœurs ? Les artistes sensibles ? — Ou bien les champions de l’organisation ?

Ça fait que ce sont toujours les « Lois du Bon Père de Famille » et l’étouffant conservatisme qui ont le dernier mot. Les artistes n’ont qu’à se professionnaliser pour rentrer dans le moule qu’on appelle La Culture (ça aussi, c’est un autre sujet . . .)

Bon. Même en se retenant d’aller guerroyer contre les moulins, le Don Quichotte de la pensée sociale est déjà allé trop loin . . . La société, qu’est-ce je peux y faire ? Je ne peux que me poser cette question : à chaque instant, dans mes rapports avec autrui, à quel moment suis-je fasciste et à quels moments suis-je un parasite de décomposition ?

Le mieux, c’est sûrement de faire un cercle avec les gens de cœur qui nous entourent et leur demander, considérant tous les enjeux de notre projet commun : quelle est, pour nous, la voie du milieu ?

Les artistes se parlent à travers le temps

Je suis un homme public seul au milieu de mes ombres. Et dans mes ombres, des artistes farouches, fragiles, des âmes comme des ghettos bizarres et peu invitants pour les petites âmes conventionnelles.

Les artistes se parlent à travers le temps

Les artistes se parlent à travers le temps. Ceux qui créent dans la couleur, qui entendent de la musique dans le bruit, ceux qui utilisent le mobilier urbain autrement, qui jazzent le langage, ceux qui créent de l’espace… Inventer est leur mode d’être. Digérer et lancer des signes comme des dés sur la table. Les dés forment parfois des combinaisons surprenantes, les artistes choisissent celles qui leur ressemblent. Certains s’inscrivent, d’autres laissent leurs traces dans le Zeitgeist et seront inscrits par d’autres. JEux, iD, manies-R, svb√ersions, ils communient, ils communiquent, une sensibilité qui les relie. Parfois, les amis avec lesquels ils passent le plus clair de leur temps sont morts depuis des siècles. Je te griffonne ça comme ça, sur un bout de journal trouvé dans un parc, au milieu d’une esquisse de jour, mais je ne sais pas qui tu es.

Seuls au monde et entourés d’êtres seuls au monde, nous pensons aux troncs et oublions les branches qui se croisent.